Je vous écris depuis le lycée…

Liberté pédagogique… « Chez nous », ça se passe comme ça !

Soyons honnêtes, les médias nationaux ne s’intéressent pas fréquemment au microcosme qu’est l’enseignement agricole public. Alors, quand l’excellente émission « Les Pieds sur Terre », de France Culture, fait un gros plan sur le lycée agricole, on a envie d’écouter… et on tombe des nues si l’on est candide.

On part à la rencontre de Julie, étudiante en BTSA GPN (Gestion et protection de la nature), en région Poitou-Charentes, en 2017. Cette jeune femme, dans le cadre de son PIC (projet initiative et communication), décide de présenter le véganisme et le spécisme dans son établissement. L’affaire est sérieusement et rondement menée : une conférence est prévue, « Quels lendemains pour les animaux, les humains et la nature ? », suivie d’un débat et d’un buffet. Rappelons que les choix de ces PIC sont libres et qu’une marge de manœuvre est laissée aux étudiant·e·s pour mener à bien leurs projets.

« Jusqu’ici, tout va bien… Mais l’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage… » Et à l’atterrissage, il y a un hic. Le projet est tout simplement interdit par la proviseure de l’époque, par peur du lobby de la FNSEA. En effet, la direction estime que le projet de Julie est trop provocateur. Malgré la protestation de certain·e·s enseignant·e·s qui soutiennent l’initiative étudiante, rien n’y fait, la direction campera sur ses positions et enterrera le projet…

Moralité, les JA (Jeunes agriculteurs) et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) peuvent faire pression sur l’organisation pédagogique d’un lycée pour censurer un projet étudiant. Ces syndicats n’hésitent pas, d’ailleurs, à faire irruption dans un conseil d’administration (suite à l’organisation d’un repas sans viande, en 2015) et/ou à recourir aux menaces et au chantage (stages, interventions…) pour obtenir gain de cause. En bref, une stratégie d’intimidation qui porte ses fruits.

En effet, dans la gestion de cette affaire, le ministère a entériné le fait que des organisations syndicales professionnelles peuvent s’ingérer dans l’organisation pédagogique d’un établissement scolaire.
Mieux encore : désormais, la validation des PIC, dans le lycée en question dans le reportage, passe par une commission dans laquelle siège un membre des JA ! Le Code de l’Éducation a du plomb dans l’aile, la liberté pédagogique des enseignant·e·s aussi.
Et encore mieux : consigne a été donnée aux chefs d’établissements, en Nouvelle-Aquitaine, que les présidents des conseils d’administration soient issus de la profession, c’est-à-dire du monde agricole, mais avec la coloration JA ou FNSEA (pas la Conf’, on s’en doute) !

Elle est pas belle la vie ? On s’assoit sur des principes qui jusqu’alors prévalaient dans l’intérêt des apprenant·e·s (notamment la construction d’un savoir critique), au profit des syndicats majoritaires qui s’immiscent dans l’organisation de notre pédagogie, nous entravent dans nos pratiques et bâillonnent les voix discordantes. Un parfum nauséabond flotte dans l’air, on pourrait peut-être demander la création d’une cellule DEMETER pour protéger les enseignant·e·s et apprenant·e·s victimes de ces pressions inadmissibles…

« La fabrique du silence : le lycée agricole », Les Pieds sur Terre, France Culture (à réécouter en podcast)