HECTAR : ça va mieux en le disant… mais ça ira encore mieux en agissant !

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Suite à la mobilisation le 29 juin dernier de près de 200 manifestant.e.s pour la défense de l’Enseignement Agricole Public devant le site de l’école Hectar (dans les Yvelines), notre collectif inter-organisation a obtenu d’être reçu le 27 août par le Cabinet du Ministre. Cet échange de plus de deux heures a eu lieu avec le Directeur adjoint de cabinet, accompagné du Conseiller à l’EA, du Conseiller aux Relations avec le Parlement, de la Directrice Générale de l’Enseignement et de la Recherche et de son adjoint.

Le Collectif en faveur de l’Enseignement Agricole Public a souhaité :

  • d’une part faire entendre les raisons qui nous ont conduit à dénoncer l’ouverture claironnée à grand renfort de médias du « plus grand campus agricole du monde » (sic) dans un contexte de marchandisation de l’éducation et d’abaissement des moyens de nos établissements publics d’enseignement et de formation

  • et d’autre part obtenir des réponses quant aux intentions du ministre et du gouvernement par rapport à l’Enseignement Agricole Public technique et supérieur, en matière budgétaire et d’ambition retrouvée.

Au préalable, le Directeur adjoint de cabinet a tenu à préciser que nos échanges se devaient d’être francs et directs… Il n’a pas été déçu !

Concernant Hectar, le Collectif a clairement indiqué que cette initiative conjointe de l’ex-conseillère à l’agriculture du Président Macron et de l’investisseur patron de Free ne correspond en rien à notre conception de la formation, pas plus que de la gratuité scolaire républicaine, et ne sert pas au final l’intérêt général.

Le Directeur adjoint de cabinet a d’abord tenu à rappeler que Hectar relève de la liberté d’entreprendre, il a ensuite affirmé que l’État ne participe pas de son financement et que par ailleurs le Ministre est constant dans sa volonté de promouvoir « les établissements de l’aventure du vivant ».

Le Collectif a tenu à insister sur le fait que, derrière les effets d’annonce, cette école privée prétendument gratuite est en fait financée par des profits captés sur l’exploitation de l’Homme et de la Nature, mais aussi par les fonds de la formation professionnelle, donc pour partie par l’État (à travers le financement de « France compétences » vers les OPCO et in fine les centres de formation), et enfin par quelques mécènes pratiquant l’optimisation fiscale (on citera Nestlé ou encore Carrefour), ce qui n’est assurément pas plus juste que l’école publique gratuite, tirant ses ressources de la redistribution de l’impôt  ! Et dès lors, comment changer de modèle agricole si l’on délègue la formation de nos agriculteur.trice.s et salarié.e.s agricoles à des investisseurs privés qui s’emparent de l’urgence du renouvellement des générations en habillant leur discours d’«agriculture régénératrice» pour diffuser une conception de l’agriculture « ultra-connectée » résolument tournée vers l’entrepreneuriat et le marché ?

Le Directeur adjoint de cabinet a fini par verbaliser que « l’enseignement agricole n’a pas attendu l’école Hectar pour permettre l’élévation du niveau de qualification de nos agriculteurs », citant à l’appui de ses propos une étude scientifique récente (en 1988 11% des actifs agricoles disposaient du niveau bac contre 53% en 2020).

Le Collectif lui a indiqué que cela allait mieux en le disant et qu’alors que les promoteurs se répandaient dans la presse écrite comme audiovisuelle le silence du ministre, jusqu’à ce qu’il soit auditionné fin juin par la mission du Sénat, avait été assourdissant ! Par ailleurs, le Collectif a dénoncé sur le fond les orientations très libérales au sens économique du terme de ce gouvernement, de la marchandisation de l’apprentissage (loi Pénicaud) à l’ouverture au Privé du cursus vétérinaire (via un « cavalier parlementaire »), sans parler de la liquidation du patrimoine de l’école supérieure d’agronomie de Grignon au profit du premier promoteur immobilier de France (sous couvert de déménagement d’AgroParisTech sur le plateau de Saclay).

Concernant une nouvelle ambition pour l’EAP, le Collectif a une nouvelle fois dénoncé l’asséchement budgétaire de l’enseignement agricole en cours depuis 3 ans maintenant (300 suppressions d’ETP dans l’enseignement technique, dont 110 encore à venir pour la rentrée 2022) et le manque d’ambition avéré en faveur de l’EAP en particulier, le 6ème schéma national des formations étant échu depuis un an et les travaux du 7ème toujours pas engagés à 8 mois de la fin du quinquennat !

Le Directeur adjoint de cabinet a d’abord indiqué que le ministre entendait renforcer les effectifs d’enseignants vétérinaires, il n’a pas nié non plus les effets d’un schéma d’emplois négatif pour le technique dans un contexte de recrutement toujours incertain, sans toutefois de fermeture nette de classes et d’établissements sur le quinquennat. Il souligne par ailleurs l’investissement renouvelé dans la promotion de l’enseignement agricole et assure que le ministre est conscient de la nécessité pour nos établissements de « disposer de moyens à la hauteur des effectifs » – ce qui confirme, s’il en était besoin, qu’ils ne sont pas à la hauteur…

Pour autant, cette assertion ne signifie absolument pas que l’arrêt des suppressions d’emplois soit d’actualité… sachant par ailleurs qu’à ce stade aucune indication de tendance n’a filtré quant à l’évolution des effectifs de la voie scolaire à cette rentrée toujours placée sous le signe de la pandémie de Covid 19…

Le Collectif a poursuivi sur la nécessité de faire à nouveau le choix du développement de l’outil public de formation (en mettant fin au dogme budgétaire « ouverture de classe contre fermeture » qui conduit de fait à l’auto-censure et à l’asphyxie), fort notamment d’une vraie stratégie nationale visant au renouvellement sous 8 à 10 ans de la moitié de la population agricole. Il s’agirait de s’appuyer de façon volontariste sur nos établissements agricoles publics, en sécurisant, territoire par territoire, les nécessaires installations fort d’une offre de formation publique confortée (en formation initiale comme en formation continue pour adulte), cela dans le sens de la transition agroécologique qui s’impose (sous couvert de référentiels métiers et programmes réellement repensés en ce sens).

Le Directeur adjoint de cabinet, après avoir redonné des gages sur la consultation des représentants du CNEA sur le fond des travaux sur les référentiels, se dit favorable à la proposition du collectif et s’engage à soumettre celle-ci au Ministre. Pour autant, cette porte à peine entre-baillée, notre interlocuteur rappelle que l’ambition à porter devra être mesurée à l’aune de moyens qui demeurent limités et par suite « s’envisager dans une logique de redéploiement, sans se détourner des fondamentaux de l’enseignement agricole ».

Circonvolution verbale ou triste réalité d’un ministre prétendument au combat mais manifestement encore loin d’avoir fait sauter le verrou de Bercy en cette fin août. Le Collectif a conclu sur sa détermination sans faille à poursuivre sa mobilisation en faveur l’EAP à un moment assurément charnière pour le devenir de l’outil public de formation au regard de l’urgence environnementale, sociale et alimentaire.

Paris, le 30 août 2021